De l’aversion de la seconde main à celle du neuf
Petite, j’ai grandi avec l’idée que seul l’objet neuf avait de la valeur. L’occasion, les brocantes, la seconde-main, c’était pour les sans-le-sou et les hippies. C’était probablement sale, délabré… vieux, moche et cassé. Une image qui s’est accrochée à moi pendant longtemps…
Si vous aussi, vous avez été éduqué⋅e avec ce filtre-là, des prises de conscience écologiques le mettent peut-être à mal aujourd’hui et vous voilà dérangés par nombre de dissonnances cognitives… N’ayez crainte ! On s’en défait. Avec un peu de patience et de méthode, on prend de la distance… jusqu’à passer totalement de l’autre côté du mur. Comment en suis-je venue à être allergique aux produits neufs ? Petite introspection.
Les valeurs du neuf
L’achat neuf véhicule derrière lui des symboles forts à première vue tout à fait attrayants, mais qu’il convient de questionner dans une société dont les ressources fondent au rythme d’un sorbet sous une canicule lyonnaise.
L’hygiène
Acheter neuf, c’est acheter propre. Sain. Sans germes. C’est l’argument qui souvent amènera à acheter neufs des vêtements ou de la literie. Les tissus ont cette mauvaise réputation d’emmagasiner les microbes, la transpiration, l’odeur du précédent propriétaire s’il y en avait un. Et c’est parfois le cas ! Mais si l’entretien du tissu a été bon, qu’il s’agit de matières solides et durables, il n’y a aucune raison qu’un bon lavage en machine ou à la main ne remette tout ça d’aplomb. Quant aux objets, c’est encore plus facile : un coup de chiffon, d’éponge (ou de tawashi) et le tour est joué !
C’est peut-être ici le bon endroit également pour rappeler cette information importante : le propre n’a pas d’odeur. L’odeur du neuf, “l’odeur du propre”, est probablement plus à fuir qu’à rechercher, pour tout ce qu’elle charrie de chimie agressive tant pour notre santé que pour celle de notre environnement (un petit point sur les Composés Organiques Volatiles dans nos produits ménagers par l’ADEME ici).
(Une certaine forme de) transparence
Acheter neuf, c’est acheter un produit avec sa traçabilité, sa notice d’utilisation et sa fiche technique. C’est donc, en théorie, disposer d’informations fiables sur la conception, les matériaux, l’origine… L’objet neuf n’a pas été altéré et bénéficie d’une information complète le concernant, à l’opposé de l’objet de seconde main dont l’étiquette et les labels ont disparu, et dont on n’est pas bien sûrs de la composition…
Vous me voyez venir : derrière la théorie, la pratique fait souvent défaut. Les marques s’en tiennent souvent à l’étiquetage obligatoire, qui a le mérite d’évoluer vers plus de transparence mais n’est pas encore la panacée en la matière. L’achat neuf n’est donc pas forcément plus que la seconde main garant d’une traçabilité exemplaire.
La fonctionnalité
Le neuf marche, et dispose d’une garantie. Acheter neuf, c’est (en théorie) acheter quelque chose qui fonctionne.
Mais dis donc… s’il me faut passer par l’achat neuf pour être certaine d’avoir un objet qui fonctionne, c’est qu’il y a de gros soucis au niveau de la conception dudit objet, dont on peut critiquer l’obsolescence programmée. L’obsolescence est un problème plutôt récent : à l’origine les objets étaient conçus pour durer…
J’ai donc commencé à questionner cette notion, et la pertinence de l’achat neuf pour y répondre, quand je me suis intéressée à la durabilité des appareils, et au fait que la garantie légale (rarement dépassée par les constructeurs) est ridicule face à la durée de vie espérée de l’objet. Ainsi de l’électroménager, garanti 2 ans quand on espère qu’il va au moins durer 15 ans.
Bien sûr, la fonctionnalité est quelque-chose de fondamental dans un achat, mais l’achat d’un matériel de qualité est en fait bien plus la garantie d’un objet durable, potentiellement réparable, que l’achat neuf d’un objet mal conçu, voire pire, conçu pour être rapidement jeté et remplacé. Pour donner quelques exemples, mieux valent :
- une machine à laver Miele d’occasion qu’une Proline neuve.
- une poêle De Buyer de seconde main qu’une Tefal neuve.
- un vêtement Patagonia d’occasion qu’un Zara neuf.
- un meuble d’ébéniste de seconde main qu’un Ikea dans son carton.
Etc etc. Attention néanmoins, je me permets de citer des marques mais il est important de faire ses recherches : même si c’est tendanciellement le cas, qualité ne rime pas tout le temps avec coût.
L’immédiateté
Acheter neuf, c’est souvent avoir son produit de suite. S’il s’agit d’une Tesla ou d’un vélo électrique en cette fin d’année 2021, des délais de livraison peuvent s’ajouter bien sûr, mais pour tout le reste, les produits vous attendent tout propres et tout emballés en magasin. Il n’y a qu’à franchir la porte (ou cliquer sur l’URL) et sortir sa carte bleue !
Pratique, n’est-ce pas ? Le problème est que cette accessibilité extrême est la faille dans laquelle les publicitaires peuvent s’engouffrer pour vous amener à acheter de manière impulsive, à savoir : en faisant le moins possible appel à votre cerveau. Les sciences cognitives et comportementales font probablement partie de celles qui ont été les plus étudiées ces quelques dernières dizaines d’années, car tous les moyens sont bons pour comprendre à quel moment le⋅la consommateur⋅rice est le plus prompt à acheter tel ou tel bien. Dans quelles conditions ? Soumis à quel message ? Quel type d’offre ? À quel moment de sa déambulation en magasin ? C’est ce qu’on appelle entre autres les “dark patterns”, et l’on peut parler sans exagération de manipulation. Mais je ne vous apprends rien.
C’est d’abord de l’immédiateté que je me suis détachée : progressivement, j’ai soupesé mon besoin et la vraie nécessité de tel ou tel achat. Sans le formuler ainsi, j’ai commencé à appliquer la méthode BISOU pour chacun d’entre eux, et le délai entre mon envie / besoin ressenti d’un nouveau produit et son achat effectif s’est rallongé considérablement. L’immédiateté était obsolète. Mieux, je m’en méfiais comme du chat qui dort.
La valorisation sociale, le symbole de réussite
L’achat neuf est vecteur de valorisation sociale, le symbole absolu de la réussite économique de quelqu’un… dans notre société capitaliste. Prenant progressivement de plus en plus de distance avec cette notion, et percevant chaque jour un peu plus les externalités négatives qu’il suscite, en termes de pollutions, d’inégalités sociales, de destruction des ressources… je me suis sentie de plus en plus en décalage avec cette idée de rechercher mon accomplissement dans le regard d’autrui par le biais d’achats d’objets de valeur, du plus petit (vêtement ?) au plus gros (logement, voiture…). Tom Hodgkinson en parle mieux que moi !
D’autant que j’ai eu la chance de rapidement me détacher de la dernière valeur cachée derrière l’achat neuf : la supériorité de la propriété privée, et l’injonction à posséder.
L’injonction à posséder
C’est clairement une conséquence de la valeur précédente, mais elle s’en distingue dans l’idée que ce n’est pas seulement de pouvoir utiliser l’objet qui est important, mais de le posséder (même si par ailleurs, au final, on ne l’utilise pas…). La propriété privée est un des socles de notre économie et peu de voix s’élèvent encore pour remettre en cause cette idée.
Pourtant, c’est bien en valorisant l’usage juste d’un produit (ou d’un territoire, entendons-nous), avec pour objectif de le partager, ou léguer plus tard à une nouvelle génération d’utilisateurs que l’on développe une relation durable aux choses et à notre environnement, et que l’on réduit de manière très significative notre emprunte environnementale (et sociale).
De plus, l’injonction à posséder nous enferme dans une dépendance à nos objets qui nous contraint bien plus que cela ne nous libère : plus de choses à entretenir, ranger, nettoyer… la multiplication de nos possessions a un impact important sur notre charge mentale. Un environnement encombré fait un esprit encombré !
J’ai eu la chance, je le disais, de me détacher très vite de cette envie d’accumuler des biens. Des déménagements avec mes parents m’ont enseigné l’art du tri, et un long voyage, avec un bagage que je pensais déjà optimisé (mais dont j’aurais au final pu diviser la taille par 3), m’a appris que moins j’emportais de choses, et plus je me sentais libre. Ainsi, à la maison, les choses n’ont de valeur que leur utilité. Aucun objet ou presque n’a de valeur sentimentale : cette dernière est réservée aux personnes, aux souvenirs et aux moments partagés.
Que reste t-il de nos amours ?
Quand on lui ôte ses beaux atours, il ne reste plus grand chose à l’achat neuf pour se défendre. Seules persistent les externalités négatives qui lui collent à la peau. Surproduction, surconsommation de ressources, émissions des transports pour trimballer tout ça… alors que nos placards explosent déjà !
Quand je pense au neuf, dorénavant je ne vois plus qu’elles. J’ai développé une aversion encore plus grande aujourd’hui à consommer du neuf qu’auparavant à me tourner vers la seconde main.
Mais au-delà de cette nouvelle aversion… j’aime vraiment la seconde-main, d’un amour vrai ! J’aime le défi pratique (il faut trouver), créatif (il faut bricoler), sociétal (il faut inventer de nouvelles filières et revoir nos récits collectifs) et technique (il faut retrouver de la qualité de conception) que représentent le réemploi et la réutilisation, vecteurs de nouvelles solutions plus résilientes, low-tech, efficientes et maîtrisées pour un avenir durable.
Bonus, l’objet de seconde main a une histoire, quelque-chose à nous raconter. Et si on l’écoutait un peu plus ?