À qui appartient ce déchet ?
En voilà une bonne question. Je pense qu’il y a plusieurs manières de voir les choses, et que l’une d’entre elles est très dangereuse pour notre avenir à court et moyen termes.
Le déchet appartient à son dernier “propriétaire”
Il est effectivement très logique de penser que le déchet appartient à son dernier “propriétaire”. Supposons que nous ayons affaire à une bouteille d’huile en plastique. Elle a d’abord été la propriété de son fabricant, puis du grossiste, puis du distributeur, et enfin… de moi, consommatrice.
Est-ce bien mon déchet ? Oui, car j’en dispose comme je veux ! Je pourrais en faire un système d’arrosage de plantes ou une mangeoire à oiseaux si je voulais. Je peux aussi le jeter dans la mauvaise poubelle, ou pire hors de la poubelle. C’est donc bien mon déchet, ma responsabilité. Et en tant que dernière propriétaire de cette bouteille en plastique, il m’incombe de m’assurer de sa destruction ou de sa valorisation.
C’est bien là la logique des industriels très bien mise en valeur par le reportage “Plastique : la grande intox” de Cash Investigation diffusé récemment. Qui est responsable des marées de plastiques qui envahissent la planète ? Moi, consommatrice, citoyenne, qui jette mal. Ah, si seulement on pouvait m’éduquer, me sensibiliser à la pollution !
Sensibilisons donc !
C’est là le cœur de l’action menée par les industriels (bonjour “Gestes propres”) et la logique que rejoint également le secteur public ici en France, ici plus précisément, à Lyon.
En ce moment, une concertation est en cours sur le Programme de réduction des déchets dans la métropole de Lyon. Ce dernier repose sur 7 axes principaux pour la période 2019–2024. Sur les 41 pages de plan d’actions de ce programme, nous pouvons donc compter :
- 69 occurrences des termes “promouvoir” et “promotion”
- 63 occurrences des termes “accompagner” et “accompagnement”
- 47 occurrences des termes “sensibiliser” et “sensibilisation”
- 23 occurrences du terme “encourager”
C’est dire l’engagement de la ville dans l’éducation de ses habitants ❤. En revanche, nous ne trouvons malheureusement que :
- 2 occurrences pertinentes du terme “agir” (je dis pertinentes, car vous pourrez aisément tomber sur une phrase comme “permettre aux autres d’agir”, ou “il s’agira de sensibiliser”…)
- 0 occurrence du terme “interdire” (pourtant je l’aurais bien vu à divers endroits, comme “interdire les sacs plastiques au marché” ou “interdire les pailles en plastique dans la ville, en avance sur le calendrier national” ou…)
Bref, vous aurez compris la logique.
Une logique dangereuse
Quand bien même 100% de la population serait sensibilisée à la pollution liée aux déchets ménagers et trierait ces derniers de la manière la plus appropriée possible (en n’écrasant pas les bouteilles, en ne faisant pas des boules avec le papier, en ne déchiquetant rien…), l’intégralité de ces derniers ne serait toujours pas recyclée.
Les techniques de tri et de valorisation disponibles aujourd’hui ne permettent pas de valoriser toutes les catégories de déchets, ni ce qui est trop petit pour être trié, sans compter que certains déchets combinent des éléments appartenant à plusieurs catégories…
Viser 100% de recyclage et compter là-dessus pour résoudre le problème des déchets est aussi utopique que viser 0% de chômage et compter là-dessus pour résoudre tous les problèmes sociaux de la nation. Je vous invite à lire cet excellent article “La dangereuse illusion du tout-recyclage” qui poursuit un peu plus loin la réflexion.
Pourquoi est-ce dangereux ? Car c’est un détournement d’attention. Une illusion, rassurante, qui nous amène à penser au moment de jeter notre fameuse bouteille d’huile dans la poubelle jaune : “tout ira bien, chaque chose est à sa place”.
Ou une utopie
Enfin, pouvons-nous réellement espérer que l’intégralité de la population se mette au zéro déchet, achète un lombri-composteur et aille faire ses courses au marché avec son cabas, ses sacs à vrac, ses boîtes à œufs et ses tupperwares ? Que tout le monde sorte enfin du supermarché ? Autant je l’espère de tout mon cœur, autant je n’y crois guère :).
Mais qu’il est arrangeant de se dire que c’est là l’objectif, et par là même se dédouaner de ses responsabilités…
Le déchet appartient à son responsable
Car c’est bien de responsabilité qu’il s’agit vraiment. Certes, en tant que citoyen, je suis souvent le dernier maillon de la chaîne, le dernier propriétaire de ce contenant dont je ne sais que faire. Mais c’est un héritage dont je me passerais bien. Voyez-vous, moi à la base, je ne voulais que de l’huile. Pas forcément de la bouteille qui est venue avec.
Cette bouteille, c’est quelqu’un d’autre que moi qui a décidé qu’elle serait en plastique, recyclable celui-ci, avec un bouchon d’un autre plastique, lui non recyclable, et une étiquette encore différente, toujours non recyclable. À aucun moment, je n’ai eu mon mot à dire là-dessus. Un jour, les industriels ont décidé : à partir d’aujourd’hui, si les gens veulent de l’huile, ils auront du plastique avec. Point à la ligne.
“Et si ça pollue la planète, patron ?
- On dira que c’est de leur faute.”
Oui, aujourd’hui des alternatives zéro déchet existent (si la pratique vous questionne, je vous invite à lire cet article sur mon organisation quotidienne), mais bien qu’optimiste, je ne me fais pas d’illusion sur la généralisation de la pratique. Bisounours, oui, naïve, non !
Une patate chaude
Non, le déchet n’est pas un “bien à valoriser”. C’est une patate chaude : sitôt récupérée, t’aimerais bien t’en débarrasser. C’est un peu comme le cadeau de Noël de tata Michèle : tu ne l’as pas demandé, mais t’es obligé de l’accepter avec le sourire, et il faudra bien trouver à s’en débarrasser un jour.
Voici les marges de manœuvre de chaque acteur de la vie du déchet, de la plus petite à la plus grande :
- Le consommateur / citoyen : boycotter le déchet (voire le produit qui va avec), ce qui peut amener à faire bouger l’industriel pour conserver ces clients, et faire pression sur les pouvoirs publics pour que ces derniers légifèrent. Le citoyen est le premier maillon de la chaîne : s’il ne signifie pas son besoin de changement, les maillons suivants n’ont aucune raison de se bouger.
- Les pouvoirs publics : légiférer ! Interdire le plastique à usage unique, rendre obligatoire le tri des biodéchets…
- Les industriels : ils sont les seuls à détenir la clef du problème, car les seuls à produire ces déchets. Sous l’action combinée d’une législation forte et d’une pression des consommateurs à l’achat, l’idée est de les faire changer de fusil d’épaule.
Et c’est bien là la seule guerre qui vaille la peine d’être menée.
Donc on s’en fout du tri, ou d’agir à notre échelle ?
SURTOUT PAS ! Car nous sommes bien le premier maillon de la chaîne, le seul capable de faire bouger les deux autres. Mais une chose est sûre, nous ne devons jamais accepter la responsabilité que l’on veut nous mettre sur le dos de la résolution du problème des déchets dans le monde.
Amis lyonnais, agissons ❤
(Si tu n’es pas lyonnais, je suis sûre que tu trouveras tout de même des leviers d’action, ils sont nombreux !)
S’il s’avère que toi aussi, tu es habitant·e de la métropole de Lyon, et tu souhaites que cette dernière prenne sa part de responsabilité sur la réduction du volume de déchets sur son territoire, n’hésite pas à écrire dans le cadre de la concertation publique en cours jusqu’au 16 octobre 2018 (oui c’est court) à l’adresse prevention.dechets@grandlyon.com.
Tu peux leur écrire que tu es déjà bien sensibilisé·e, et que plutôt que de recevoir plus d’informations sur les déchets, tu aimerais que la métropole s’engage à (au choix, liste non exhaustive que tu peux amender ou compléter) :
- Collecter les biodéchets (comme à Lorient ou au Havre par exemple)
- Interdire le plastique à usage unique : les pailles, en avance par rapport au calendrier national, ou mieux toute vaisselle jetable, ou les bouteilles d’eau (comme à San Francisco)
- Sortir de l’illégalité concernant la TEOM (Taxe d’Enlèvement des Ordures Ménagères)
- Mettre en place la facturation incitative des ordures ménagères (au poids ou au sac)
- Mettre en place des poubelles en ville de tri et recyclage des mégots
- Accepter les couches lavables dans toutes les crèches publiques
Un tout petit bout de la planète t’en remercie 😉.